Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Métropôle Aix Marseille Provence
16 janvier 2013

EUROMEDITERRANEE - FRICHE , LA BELLE DE JANVIER 2013

Next Magazine

Les premiers samedis
du mois, retrouvez
notre magazine
mensuel mode,
musique et lifestyle

Critique

Friche, la Belle de janvier

10 janvier 2013 à 19:16 (Mis à jour: 15 janvier 2013 à 13:12)
Par ANNE-MARIE FÈVREEnvoyée spéciale à Marseille

Architecture. La plus grande ruche culturelle d’Europe est fin prête pour MP 2013, après vingt ans d’épopée collective, poétique et sociale.

Identité forte de la Friche, le Panorama peut accueillir des oeuvres monumentales contemporaines. - Olivier Monge

AMarseille, faudra-t-il choisir entre la «Bonne Mère» ou la nouvelle tour CMA-CGM ? Du haut d’une cent quarantaine de mètres, Notre-Dame de la Garde, fausse romane byzantine de 1864, toise de son piton la robe et la traîne de béton, métal et verre signées de l’architecte Zaha Hadid en 2009. Il y a là un écartèlement, entre l’icône bien installée et l’intruse encore illégitime, symbole du futur quartier d’affaires Euroméditerranée qui ne suscite pas toutes les dévotions.

Loin des grands édifices, anciens ou à venir, le photographe Olivier Amsellem, né dans «cette ville populaire où le rien est déjà un champ d’expérimentation», publie un portrait de Marseille (1). Des images-fragments (camion-pizza, palmiers, tours, tuiles provençales), sans vue d’ensemble. Il sème des petits cailloux au promeneur en posant une question : «S’il faut vivre avec la certitude que l’on ne peut rien finir dans cette ville, alors par quoi commencer ?»

«Creuser». Dans ce grand chantier Marseille- Provence 2013, il faut assurément commencer par le populaire quartier de la Belle de mai, tout près de la gare Saint-Charles. Sur le site de l’ancienne manufacture de tabac de la Seita, fermée en 1990, entre le pôle média, où se tourne Plus belle la vie, et le pôle patrimoine, il faut choisir la Friche de la Belle de mai. Elle est déjà le carrefour artistique, le moteur décalé et citoyen de la cité phocéenne, avec 70 structures résidentes et 500 personnes animatrices.

Ce pôle arts et spectacles vivants de 45 000 m2, plus grande friche culturelle d’Europe, offre 4 800 m2 d’espaces d’expositions, salles de spectacles, ateliers, studios, librairie, streetpark, bureaux, locaux pour des associations, crèche. Et le vaste restaurant les Grandes Tables, projet de Fabrice Lextrait, qui est le théâtre de tous les rendez-vous et palabres depuis 2006.

Avec ses tout derniers aménagements, le Panorama et la Tour, la Friche achève sa première tranche de réinvention en accueillant dès demain l’exposition d’art contemporain «Ici, ailleurs». L’architecte qui a conduit cette transformation depuis 2001, c’est Matthieu Poitevin (avec Pascal Reynaud, agence ARM). Né en 1965, ce fils d’une famille «de saltimbanques marseillais» (son père est le poète Julien Blaine, de son vrai nom Christian Poitevin, qui fut adjoint à la culture du maire Robert Vigouroux de 1989 à 1995) se déclare «architecte frichier» et déterminé à «faire aimer Marseille». Mais laquelle de ces cités aux mille emphases ? Celle dont la Belle serait la métaphore ?

«A Marseille, il y a ce qui se voit et ce qui ne se voit pas», défend-t-il. Il faut creuser derrière les façades, on y trouve un jardin. La Friche, c’est la même chose. Les façades de ces vieux bâtiments industriels, austères, fermés, très minéraux, ne disent rien. A l’intérieur, il y a un cœur qui bat.»

Dans cet ancien ensemble disparate de bâtiments qui comptait cartonnerie, magasins du tabac, deux villas, un réservoir d’eau, la métamorphose menée «avec l’air de ne pas y toucher» est considérable, mais ne se voit pas, la matière et l’ambiance brutes ont été gardées. Tandis que les artistes restaient présents dans ces lieux, que les tags «Non à l’impérialisme» couvrent les murs, et que passent en lisière les TGV, Matthieu Poitevin a travaillé comme dans un paysage, une forêt abandonnée qu’il fallait éclaircir. Les édifices sombres et humides ont été ouverts, les circulations organisées comme de larges rues avec coursives, patios, places. Ce qui est devenu particulièrement attractif, «car Marseille manque de panorama», c’est l’immense terrasse de 7 000 m2.

De cette canopée minérale, à ras des toits, on scrute le chaos urbain, indomptable pour les uns, libre pour les autres, de la rade aux calanques, jusqu’aux quartiers Nord. De ce point de vue, on peut «refaire Marseille». Y est posé un belvédère, le Panorama, en porte-à-faux au-dessus des anciens magasins, à 10 mètres de haut, pouvant accueillir des œuvres monumentales contemporaines. Translucide et brillant, il signale le lieu aux voyageurs qui arrivent en train, comme «un rond-point d’exclamation». L’autre bâtiment inauguré, c’est la Tour, à façade en meulière, avec ses nouveaux plateaux. L’exposition «Ici, ailleurs» court de l’un à l’autre - dommage que dans le Panorama, des cimaises cassent l’espace. «Il n’y a pas forcément de relation entre architecture et art», se marre (défend ?) Matthieu Poitevin.

Impertinent. Cette réinvention «d’un nouveau mode de ville» dans la cité représente une bataille épique et atypique de vingt ans. Dès 1992, la manufacture vide, cédée par la Seita à la ville de Marseille, a été occupée, légalement. Cette «utopie» a été fomentée par le poète performeur Julien Blaine et le fondateur de la Belle, Philippe Foulquié, directeur du théâtre Massalia. La Friche a été tour à tour animée par différents acteurs : en 1995, Jean Nouvel y défend «un projet culturel pour un projet urbain», le réalisateur Robert Guédiguian a repris le flambeau. «C’est une transformation lente qui s’est opérée là, explique Philippe Foulquié, avec des artistes libres comme Julien Blaine, dans un esprit "je t’aime moi non plus" avec la ville. Avec l’idée d’un lieu qui soit une place urbaine, dans le quartier le plus pauvre d’Europe. Avec la mémoire de la Seita qui comptait 10 000 travailleurs…»

Dans la longue dernière ligne droite, c’est l’architecte Patrick Bouchain qui y a agi pendant sept ans en tant que président et maître d’ouvrage bénévole, «pour revendiquer et contrôler la commande». Il a contribué à fédérer cette aventure, au service des résidents-pionniers, organisés dans une Société coopérative d’intérêt collectif (Scic), dans le cadre d’un bail emphytéotique de quarante-cinq ans avec la commune. Du jamais-vu, et de quoi voir venir. «Il fallait aider les artistes à investir ces lieux d’une manière légale et durable, revendique Bouchain. Pour cela, il fallait aussi assouplir les normes et réglementations d’usage et de sécurité. Surtout inverser la démarche. Ne pas partir d’un programme, mais créer des usages à partir de l’analyse des bâtiments. Et dépenser peu.»

Ce pugnace concepteur et bateleur «bilingue», qui parle la langue de l’art mais aussi celle de la politique, a eu le don de favoriser les négociations avec la ville, avec toutes les instances territoriales, département, région et ministère de la Culture, qui au final soutiennent ce caravansérail brut et impertinent. Avec moins d’argent que bien d’autres projets, 23 millions d’euros pour les derniers travaux, soit 750 euros le m2.

Résultat, et c’est là l’invention, les résidents se gèrent eux-mêmes, ne payent pas de loyer mais participent aux charges et contrôlent toutes les tâches, d’entretien et de gardiennage. Surtout, cet «atelier social» qui «s’est fait tout seul» a réussi à hybrider toutes les cultures et des morceaux de ville, d’espaces publics. Comme la crèche de quartier de 50 berceaux installée dans l’ancien réservoir d’eau ou des logements encore à venir. On y attend un pôle théâtre en juin, dirigé par Catherine Marnas, et conçu par l’atelier Construire, une aire de jeux imaginée par le collectif Encore Heureux, et des jardins partagés…

«Séduit». La Friche continue d’avancer en marchant, de réunir, riche de ne pas être finie. Défricheuse d’un nouveau possible culturel mixte entre privé et public, elle a su jouer avec l’alternance des personnes, la filiation entre générations d’artistes. La voilà aujourd’hui présidée par l’avocat Marc Bollet : «Il ne faut pas créer de ghetto monolithique.» Et dirigée par Alain Arnaudet, de l’association Système Friche Théâtre. Elle qui a toujours été off devrait se couler dans le in de MP 2013 sans se renier, même si elle a bien failli ne pas être de l’odyssée Capitale. «Bernard Latarjet [ex-directeur de MP 2013, ndlr] doutait du projet», raconte Bouchain.Elle a pourtant séduit le jury européen au restaurant des Grandes Tables.Elle part avec un net avantage, car en ouvrant au début de la manifestation, elle pourra au printemps reprendre sa marche pour elle-même, hors événement. Et ne pas se retrouver avec la gueule de bois, épuisée, sans budget, en janvier 2014, comme ce fut le cas à Roubaix, à la Condition publique, lors de Lille 2004.»

Mais lorsqu’on quitte la friche, à pied ou en bus (il n’y en a pas le soir tard !), le rêve de «PC-PU», «Projet culturel-projet urbain», est encore loin d’avoir contaminé le quartier. Les connexions directes avec la Joliette, le Panier ou le Vieux-Port restent à faire. «Relier la Friche aux autres centres, c’est ce qu’il aurait fallu inventer, s’énerve Poitevin. Pas ce projet urbain Euroméditerranée où il n’y aura pas de rues, avec un absurde centre commercial où l’on viendra en bateau ! Marseille, c’est un port bordélique, une matrice en mouvement, ce n’est pas une marina, on ne peut y opérer une taxidermie comme à Lille ou à Lyon. C’était sa chance de ne pas avoir un unique centre-ville ripoliné. Au nord, on avait une rocade incroyable où l’on s’envolait. Il aurait fallu y imaginer un parc urbain entre ciel et mer.»

Poitevin le véhément se contentera de s’envoler de son Panorama. Avec sa devise «Impossible n’est pas la Friche», la Belle va irriguer Marseille Provence 2013. «C’est l’idée d’une ville dont on peut inventer l’usage tous les jours», ne conclut pas Philippe Foulquié. Photos Olivier Monge. MYOP

(1) «Portraits de villes : Marseille», d’Olivier Amsellem, édition be-pôles, 64 pp., 18 €.

Friche de la Belle de mai 41, rue Jobin, 13003. Rens : www.lafriche.org Ici, Ailleurs Exposition d’art contemporain, à la tour-Panorama, du 12 janvier au 31 mars. Bien à vous Installation à l’agence ARM, galerie Le Petitrama, du 12 janvier au 10 février. Conférence de Matthieu Poitevin, demain à 10 heures, Le Studio.

A lire aussi
Publicité
Publicité
Commentaires
Métropôle Aix Marseille Provence
Publicité
Publicité